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Que nous disent les études sur la centralité et l’efficacité de la double-attention en EMDR?  

Le rôle central du mouvement oculaire en EMDR selon Shapiro

Shapiro pensait que le mouvement oculaire en EMDR favorisait l’intégration de l’information traumatique. Et cette idée est restée dominante aujourd’hui. Par exemple, dans l’aide-mémoire d’EMDR, Iracane (2019, p.137) propose qu’en cas de blocage du patient, la première approche consiste à modifier le mouvement oculaire aussi nommé   « stimulus bilatéral d’attention double » (SBA) :

« Les premières mesures préconisées sont les approches dites mécaniques :

  • allonger la durée des sets SBA ;
  • augmenter la vitesse des SBA ;
  • modifier la direction des SBA visuelles en passant dans le sens oblique ;
    (…) « 

Mais que nous disent les études de validation empirique sur le rôle thérapeutique du mouvement oculaire en EMDR ?

Le peu d’informations fournies par la méta-analyse de Lee & Cujpers (2013)

Lors de ma formation en EMDR en 2015, on m’a dit qu’il avait été prouvé que « le mouvement oculaire était efficace ». Et il est vrai qu’une méta-analyse publiée en 2013 par Lee & Cujpers  indiquait que le mouvement oculaire avait un effet modéré sur la vivacité du souvenir (d = 0,74).
Mais nous avons vite fait de draper nos convictions de l’apparence de la science et à y regarder de plus près, la méta-analyse en question ne permet pas une affirmation si catégorique.  Comme je l’ai écrit dans « psychothérapies pour le trouble du stress post-traumatique » (2022, p34) :

« Lee et Cujpers (2013) ont étudié l’efficacité de l’EMDR avec ou sans le mouvement oculaire en se basant sur quinze études disponibles. Les auteurs rapportent que toutes ces études étaient de mauvaise qualité méthodologique et donc, que de nombreux biais pouvaient expliquer les résultats (seulement une étude dissimulait aux participants la condition dans laquelle ils se trouvaient). Cela peut avoir pour conséquence que l’effet observé n’est pas lié au mouvement oculaire, mais à l’effet placebo (Finniss et al., 2010). De plus, après avoir retiré deux études qui avaient des résultats significativement différents des autres études, ils ont observé que la taille d’effet était faible (g = 0,27). Donc le mouvement oculaire a tout au plus un effet marginal sur l’efficacité de l’EMDR. Deuxièmement, s’il devait y avoir un effet d’estompage affectif lié au mouvement oculaire dans le cadre du protocole EMDR, la question resterait de savoir si cet effet pourrait se retrouver hors des séances, notamment sur les symptômes de TSPT. Ce qui n’était pas rapporté dans la méta-analyse ».

Et depuis 2013 ?

Carter & Farrell (2023) rapportent dans leur revue de littérature que :

« La recherche menée pour cette étude, sur les essais cliniques comparant l’EMDR avec EMs (mouvements oculaires) à l’EMDR sans EMs, achevée depuis 2013, a révélé que deux essais avaient été menés à bien (Sack et al., 2016 ; Schubert, Lee & Drummond, 2016).  Les autres études qui ont examiné la contribution des mouvements oculaires dans la thérapie EMDR ont été menées en laboratoire avec des populations non cliniques […]. »

Les auteurs font donc référence à deux essais, celui de  Schubert, Lee & Drummond (2016) et celui de  Sack et al. (2016). Le premier essai est une étude exploratoire portant sur 20 adultes et sans groupe contrôle. Nous ne nous attarderons donc pas dessus. Le second essai est beaucoup plus intéressant :

Cette étude a randomisé 139 patients atteints de TSPT en trois groupes : exposition avec mouvements oculaires (EM), exposition avec fixation statique (EF) [ la main est fixe et ne bouge pas] et exposition sans focus visuel (EC, contrôle). Tous ont suivi le protocole EMDR standard, et l’évolution des symptômes a été évaluée via la CAPS [outil de mesure diagnostique du TSPT] par un évaluateur aveugle à l’allocation. Sur 116 patients ayant complété le traitement (4,6 séances en moyenne), une amélioration significative des symptômes a été observée (Cohen’s d = 1.96) avec un taux de rémission de 79,8 %. EM et EF ont montré une réduction des symptômes plus importante que EC (ΔCAPS : EM = 35.8, EF = 40.5, EC = 31.0), mais aucune différence significative n’a été trouvée entre EM et EF.

La trouvaille la plus intéressante de cette étude à notre sens, est que la bilatéralité n’a aucun impact clinique et qu’une main fixe devant le patient a tout autant d’impact sur le TSPT. Cette étude indique également que l’EMDR serait un peu plus efficace avec une composante de focalisation attentionnelle comme une main. 

Quels mécanismes pour l’effet thérapeutique de la double-attention ?

Les explications proposées par Shapiro (2007) sur les mécanismes liés au mouvement oculaire n’ont jamais pu être corroborés par les études.

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L’explication proposée par Shapiro est la suivante : « L’hypothèse est que les éléments procéduraux de l’EMDR, incluant les stimuli d’attention double, déclenchent un état physiologique qui active le système traitement de l’information (Shapiro, 2007, p.39.) ».

Qu’est-ce que le système de traitement de l’information (TAI) ?

« Spécifiquement, il semble exister un équilibre neurologique dans un système phy siologique distinct qui permet à l’information d’être traitée en vue d’une « résolu tion adaptative ». Par « résolution adaptative », je veux dire que les connexions aux associations appropriées sont faites, que l’expérience est utilisée de façon constructive par l’individu et s’intègre dans un schème émotionnel et cognitif positif. (Ibid) »

Notons que cette conceptualisation n’a pas évolué aujourd’hui dans un certain milieu de l’EMDR. Par exemple, pour reprendre Desbiendras & Brennstuhl (2022, p.64) :

« En thérapie EMDR, les stimulations visuelles (appelées « sets ») sont rectilignes, principalement horizontales, même si elles sont parfois effectuées selon une trajectoire oblique.  Elles se font de gauche à droite très rapidement pour le traitement des informations douloureuses et lentement pour l’installation de ressources. Elles servent à remettre en route le TAI et à aider les patients à retraiter une ancienne information qui n’avait pas été stockée, ou de manière inadaptée. »

Nous savons aujourd’hui que c’est la saturation attentionnelle en lien avec la mémoire de travail qui pourrait expliquer un impact lors de l’activation de la mémoire traumatique.

Ceschi et Pictet (2018) rapportent les résultats d’études permettant d’expliquer l’effet de réduction du niveau subjectif de détresse (NSD) lié au mouvement oculaire. Voyons plutôt : « D’autres doubles tâches telles que dessiner, compter à rebours ou jouer avec de la pâte à modeler, ont également montré leur efficacité sur la réduction de la détresse associée à l’évocation d’une image traumatique […]. Une étude de van den Hout et al. (2011) indique qu’une part importante de cet effet « d’estompage affectif » de la tâche concurrente serait attribuable à la charge cognitive associée à l’exécution de n’importe quelle double tâche, avec un effet supplémentaire (relativement faible) plus spécifiquement attribuable à la modalité visuo-spatiale » (Ceschi et Pictet, 2018, p. 157) .

Comme le disent Landin-Romero et al. (2018) :« Les résultats ont démontré un soutien empirique raisonnable à l’hypothèse de la mémoire de travail et aux changements physiologiques associés. » 

Quelques points sur les mécanismes liés au mouvement oculaire en EMDR :

  • La saturation attentionnelle a probablement un impact sur l’estompage affectif.
  • Nous ne savons pas si l’estompage affectif a un impact sur le TSPT.
  • Aucune donnée n’indique que la bilatéralité est un mécanisme d’action thérapeutique.

Même si une composante attentionnelle était thérapeutique sur le TSPT, c’est probablement comme adjuvant à une autre composante thérapeutique plus essentielle. Notons également qu’il serait intéressant de se focaliser de l’impact éventuel que peut avoir la saturation attentionnelle sur les libre-associations puisqu’elle réduit probablement les facultés d’inhibition et de contrôle de ses pensées.  

Le mouvement oculaire est-il important en EMDR? ?

A partir du peu d’étude dont nous disposons, nous pouvons quoi qu’il en soi dire que si la double attention a un impact, celui-ci est mineur. En effet, la méta-analyse de Lee & Cujpers (2013) montre un impact faible sur la vivacité du souvenir (g=0,27). Et la seule étude correcte qui mesure l’impact de la double attention sur le TSPT montre un taille d’effet faible entre les conditions avec ou sans mouvement oculaire. En effet, il y a une différence d’efficacité d’environ 7 points à la CAPS quand il y a une composante attentionnelle ajoutée au protocole (Sack et al.  2016). Or Marx et al. (2022) indiquent qu’un changement de 13 points à la CAPS-5 peut servir de repaire pour indiquer un changement clinique significatif. 

Mais cela ne signifie pas que l’EMDR ne fonctionne pas pour traiter le TSPT (Hoppen et al., 2024) ou certains autres troubles comme la dépression (Dominguez et al., 2021). Simplement, c’est qu’il y a d’autres mécanismes thérapeutiques plus importants qui sont en jeu comme la restructuration cognitive et l’exposition (Alpert  et al., 2023 ; Zuj & Norrholm, 2019 ).

Concrètement, pour les thérapeutes qui connaissent le traitement EMDR, quand le patient est en distraction ou dans l’inconfort avec la modalité de double attention visuelle, le thérapeute doit opter pour une autre modalité. Il peut opter pour des sons ou pour des tapotements (tapping).  Quand je diffuse des sons ou fait du tapping avec un patient qui a les yeux fermés, il est probable que souvent, il ne soit pas en double attention. Mais cela n’empêche pas que la mémoire traumatique soit activée, qu’il puisse générer des libres-associations et que nous puissions travailler sur les points bloquants.

 

Conclusion 

La seule étude de démantèlement avec groupe contrôle qui a étudié l’impact d’une composante attentionnelle sur les symptômes de TSPT est celle de Sack et al. (2016). Celle-ci indique un effet statistiquement significatif mais faible lié à l’ajout d’une composante attentionnelle. Des études de réplication sont nécessaires. Les mécanismes d’action impliquent probablement la saturation attentionnelle et ils doivent encore être étudiés. La bilatéralité lors de l’attention semble n’avoir aucun impact thérapeutique.

Pour reprendre Landin-Romero et al. (2018):

« Malgré le nombre croissant d’études publiées ces dernières années, la recherche sur les mécanismes sous-jacents de la thérapie EMDR n’en est encore qu’à ses débuts. Des études sur des populations cliniques et non cliniques bien définies, des échantillons de plus grande taille et un contrôle méthodologique plus strict sont encore nécessaires pour établir des conclusions solides. »

L’EMDR n’en reste pas moins une thérapie intéressante mais l’accent ne doit pas être mis sur la double-attention.

SOURCES

Alpert, E., Shotwell Tabke, C., Cole, T. A., Lee, D. J., & Sloan, D. M. (2023). A systematic review of literature examining mediators and mechanisms of change in empirically supported treatments for posttraumatic stress disorder. Clinical Psychology Review, 103, 102300. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2023.102300

Carter, C., & Farrell, D. (2023). A systematic review exploring the role of eye movements in EMDR therapy from a working memory perspective. EMDR Therapy Quarterly, Spring 2023. Consulté le 28 mars 2025 sur https://etq.emdrassociation.org.uk/2023/05/10/a-systematic-review-exploring-the-role-of-eye-movements-in-emdr-therapy-from-a-working-memory-perspective/

Ceschi, G., & Pictet, A. (2018). Imagerie mentale et psychothérapie. Mardaga.

Desbiendras, N., & Brennstuhl, M.-J. (2022). EMDR et SBA. Dans C. Tarquinio, M. Brennstuhl, L. Cornil, H. Dellucci, M. Iracane-Coste, O. Piedfort-Marin, J. Rydberg, M. Silvestre, P. Tarquinio, & E. Zimmermann (Éds.), Pratique de la psychothérapie EMDR (2e éd., pp. 64-80). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.tarqu.2022.03.0064

Dominguez, S. K., Matthijssen, S. J. M. A., & Lee, C. W. (2021). Trauma-focused treatments for depression: A systematic review and meta-analysis. PLOS ONE, 16(7), e0254778. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0254778

Hoppen, T. H., Meiser-Stedman, R., Kip, A., Birkeland, M. S., & Morina, N. (2024). The efficacy of psychological interventions for adult post-traumatic stress disorder following exposure to single versus multiple traumatic events: A meta-analysis of randomised controlled trials. The Lancet Psychiatry, 11(2), 112–122. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(23)00345-6

Iracane, M. (2019). Les blocages du traitement. Dans C. Tarquinio, M.-J. Brennstuhl, H. Dellucci, M. Iracane, J. A. Rydberg, M. Silvestre, P. Tarquinio, & E. Zimmermann (Éds.), Aide-mémoire – EMDR en 46 fiches (pp. 147-164). Dunod.

Landin-Romero, R., Moreno-Alcazar, A., Pagani, M., & Amann, B. L. (2018). How does eye movement desensitization and reprocessing therapy work? A systematic review on suggested mechanisms of action. Frontiers in Psychology, 9, 1395. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.01395

Lee, C. W., & Cuijpers, P. (2013). A meta-analysis of the contribution of eye movements in processing emotional memories. Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 44(2), 231-239. https://doi.org/10.1016/j.jbtep.2012.11.001

Marx, B. P., Lee, D. J., Norman, S. B., Bovin, M. J., Sloan, D. M., Weathers, F. W., Keane, T. M., & Schnurr, P. P. (2022). Reliable and clinically significant change in the clinician-administered PTSD Scale for DSM-5 and PTSD Checklist for DSM-5 among male veterans. Psychological Assessment, 34(2), 197–203. https://doi.org/10.1037/pas0001098

Orban, P. (2022). Psychothérapies pour le trouble du stress post-traumatique: Exposition prolongée – Retraitement cognitif – Thérapie cognitive du TSPT – EMDR. Dunod.

Sack, M., Zehl, S., Otti, A., Lahmann, C., Henningsen, P., Kruse, J., & Stingl, M. (2016). A comparison of dual attention, eye movements, and exposure only during eye movement desensitization and reprocessing for posttraumatic stress disorder: Results from a randomized clinical trial. Psychotherapy and Psychosomatics, 85(6), 357-365.

Schubert, S. J., Lee, C. W., & Drummond, P. D. (2016). Eye movements matter, but why? Psychophysiological correlates of EMDR therapy to treat trauma in Timor-Leste. Journal of EMDR Practice and Research, 10(2), 70-81. https://doi.org/10.1891/1933-3196.10.2.70

Zuj, D. V., & Norrholm, S. D. (2019). The clinical applications and practical relevance of human conditioning paradigms for posttraumatic stress disorder. Progress in Neuro-Psychopharmacology & Biological Psychiatry, 88, 339–351. https://doi.org/10.1016/j.pnpbp.2018.08.014

 

Pierre Orban

Psychologue Clinicien – Formateur FCPS

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« A lire absolument pour améliorer ses prises en charge psychothérapeutiques. » Frédéric Chapelle, Psychiatre et Conférencier 

« Il va trouver sa place dans la revue de littérature de notre diplôme de psychologie d’urgence et TCC. » Sylvain Goujard, Fondateur du Diplôme Universitaire en psychologie d’urgence et TCC

« En conclusion, compte tenu de la rigueur scientifique de l’ouvrage, du fait que de nombreuses stratégies thérapeutiques d’excellence dans le TSPT sont rapportées (pour certaines peu connues du public francophone), des nombreux exemples de cas cliniques, il m’est facile de recommander sa lecture aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels pratiquant depuis des années, voire à des enseignants universitaires » Martine Bouvard, Professeure de psychologie clinique