Cet article présente la phobie d’impulsion et des pistes d’intervention pour sa prise en charge.

PRÉAMBULE

C’est maintenant la deuxième fois depuis le début de ma pratique qu’un patient me consulte parce qu’il a peur de se faire du mal ou peur de faire du mal à l’un de ses proches. J’avais déjà entendu parler de la phobie d’impulsion mais n’avais encore jamais approfondi le sujet. Après quelques recherches, j’ai été surpris de constater que ce trouble n’était pas repris dans les classifications internationales habituelles telles que le DSM V ou le CID 10. Par ailleurs, la littérature sur le trouble est très rare et date le plus souvent des années 70. Quant aux propositions de traitement, elles se résument généralement à un renforcement narcissique du patient. Cet article s’adresse aux praticiens qui pourraient se sentir démunis face à ce trouble.

Description du trouble

La phobie d’impulsion, aussi appelée « phobie de commettre un acte impulsif » se caractérise par la peur de commettre un acte aux conséquences jugées très dommageables par la personne victime du trouble, sachant qu’il n’y a aucune intention de commettre cet acte. Le plus couramment, la personne a peur de perdre le contrôle d’elle-même et par là, de s’agresser ou d’agresser ses proches. (1) Des réactions anxieuses sont fréquemment déclenchées par une pensée intrusive verbale et éventuellement visuelle telle que « et si soudainement j’étouffais mon enfant » (2), ou « et si soudainement je tuais ma copine avec ce couteau ».
La phobie d’impulsion peut être caractérisée comme un trouble des méta-cognitions. Les méta-cognitions renvoient à trois choses (3) :

1) Les pensées/jugements/croyances sur les pensées.
2) Les émotions en lien avec les pensées/jugements/croyances sur les pensées.
3) Les stratégies de régulation des pensées.

Il est important de le distinguer des troubles psychotiques où la personne entend des voix extérieures, des dépressions mélancoliques à allure psychotique, de la peur de recommencer des passages à l’acte antérieurs, ou encore de la peur de perdre le contrôle dans des conditions particulières comme l’abus de substance par exemple. Il s’agit donc d’un trouble clinique dont le diagnostic différentiel doit avoir été réalisé minutieusement.

Pistes d’intervention méta-cognitives et comportementales

Une piste d’intervention inspirée de la thérapie méta-cognitive de Wells (3) que j’ai appliquée avec succès dans mes consultations a consisté à aborder par le dialogue socratique et des exercices d’expérimentation, quelles sont la signification et les conséquences des pensées qui sont à la base de la réaction anxieuse.

1) Lien pensée-action : La personne a peur de commettre un acte terrible parce qu’elle en a eu la pensée. Pourtant, ce n’est pas parce que nous pensons quelque chose que nous le faisons. La mise en place d’une action complexe passe par des processus supplémentaires d’intention et de planification. Un exercice pour augmenter la confiance en sa capacité à penser sans agir consiste à penser volontairement pendant une minute à des actions dont l’initiation serait potentiellement très dommageable. Voici quelques exemples : « et si je me mettais tout nu ? », « et si je criais Allahu akbar dans un centre commercial ? », « et si je prenais l’autoroute à sens unique ? ».

2) Lien pensée-désir : La personne se perçoit parfois très négativement à cause de ses pensées d’agression : « je suis un monstre », « je suis folle ». Il est dès lors pertinent de discuter avec la personne du fait que ce n’est pas parce que nous pensons une chose que nous la désirons. Combien de personnes n’ont pas déjà pensé « et si je sautais de me voiture sur l’autoroute ? », « et si je me retrouvais un jour en prison ? », « et si on me volait mon portefeuille ? ». Il est important d’établir une distinction claire entre la lutte contre un désir répréhensible et la peur suscitée par des scénarios catastrophe dans lesquels on perdrait soudainement le contrôle de soi pour une raison inexpliquée.

3) La contrôlabilité de la pensée : Les pensées anxiogènes du trouble de l’impulsivité surviennent initialement avec une pensée intrusive. Les pensées intrusives sont des pensées qui apparaissent de façon non-désirées. Il peut s’agir de souvenirs sensoriels de courte durée qui apparaissent de façon incontrôlée, ou encore de pensées verbales. (4,5) Ensuite, ces pensées intrusives peuvent être suivies par des ruminations. « Les ruminations peuvent être définies comme une classe de pensées conscientes qui tournent autour d’un thème commun et qui se répètent en l’absence d’une demande immédiate de l’environnement.» (6) Il est important de reprendre avec la personne les techniques de régulation de la rumination qui fonctionnent (acceptation et réorientation attentionnelle) et qui ne fonctionnent pas (peur et suppression). Que ce passe-t-il par exemple si je vous dis que « nous ne devons surtout pas penser à une girafe bleue car c’est une pensée dangereuse » ?

Une bonne façon d’expérimenter les techniques de régulation des ruminations consiste à prescrire de ruminer plusieurs fois par semaine pendant une minute sur une pensée vécue comme problématique (exemple : et si je sautais par la fenêtre) puis de réguler la pensée. C’est généralement la première fois que les personnes expérimentent cette pensée volontairement et perçoivent un moyen de la réguler. Cela renvoie également l’information que cette pensée n’est pas dangereuse.

4) Lien stimuli-action : Il est courant que la personne qui souffre de phobie d’impulsion évite certains objets ou certaines situations en lien avec la pensée problématique. Par exemple, un patient qui avait peur de tuer son partenaire avec un couteau les évitait de peur de passer à l’acte. La mise en contact graduelle (exposition graduée) est une piste d’intervention crédible pour expérimenter qu’il n’y a aucun danger associé à ces objets et situations.

 

Conclusion

La phobie d’impulsion peut être vue comme un trouble obsessionnel lié aux méta-cognitions. Aucun cas de passage à l’acte n’a été rapporté. La thérapie méta-cognitive et la thérapie d’exposition permettent d’élaborer une thérapie adaptée avec des bases théoriques solides. Espérons que ce trouble recevra davantage d’attention dans l’avenir proche.

 

Sources

  1. Delage, M., Dumouchel, A., Poirier, G., & Tristan, M. (1977). A clinical approach to the impulsion-phobia. Annales Médico-Psychologiques, 2(5), 821-838
  2. LactApp. (2019, March 12). « I’m afraid to hurt my baby » Impulse phobia – La app de lactancia materna más completa y personalizada. Retrieved from https://blog.lactapp.es/en/im-afraid-to-hurt-my-baby-impulse-phobia/
  3. Wells, A. (2016). Metacognitive therapy for anxiety and depression. Kbh.: Nota.
  4. Clark, D. A., & Purdon, C. L. (1995). The assessment of unwanted intrusive thoughts: A review and critique of the literature. Behaviour Research and Therapy, 33(8), 967-976. doi:10.1016/0005-7967(95)00030-
  5. Speckens, A. E., Ehlers, A., Hackmann, A., Ruths, F. A., & Clark, D. M. (2007). Intrusive memories and rumination in patients with post-traumatic stress disorder: A phenomenological comparison. Memory, 15(3), 249-257. doi:10.1080/09658210701256449
  6. Watkins, E. R. (2008). Constructive and unconstructive repetitive thought. Psychological Bulletin, 134(2), 163-206. doi:10.1037/0033-2909.134.2.163

 

Pierre Orban

Psychologue Clinicien – Formateur FCPS