Une juste rémunération pour les psychothérapeutes? 

Introduction

La nouvelle réforme pour le remboursement des soins psychologiques entrera en vigueur dans le courant des semaines avenir (1). Des critiques pertinentes de cette convention ont déjà été formulées par Lottin et Vassart (2). Nous ajouterons que si l’on part du principe conservateur de 15 minutes de travail administratif et comptable supplémentaire pour 45 minutes de consultation minimum facturées à 45 euros maximum, et si nous prenons en compte la location des locaux professionnels, les formations et les fournitures, les congés maladie, l’assurance complémentaire pensions et les impôts et charges sociales, cela revient à un revenu approximatif net de 12 euros par heure. Il faut par ailleurs prendre en compte que les annulations n’étant pas remoursées (dans la nouvelle convention), le surbooking étant impossible, et le flux de patientelle ne pouvant être stable toute l’année, il serait très optimiste de calculer la rémunération mensuelle sur des journées de travail de 7h36. Cela suscite de nombreuses questions économiques, politiques et juridiques, parmi lesquelles la représentation et la reconnaissance du rôle du psychologue clinicien et du psychothérapeute.

La psychothérapie comme discipline spécialisée

La formation de psychologue psychothérapeute est longue et spécialisée. En effet, la nouvelle loi de protection de la psychothérapie (3) prévoit que l’accès à l’exercice de la psychothérapie nécessitera pour les psychologues :

  • Un diplôme universitaire en psychologie de niveau master- à savoir 5 ans d’université.
  • Une formation en psychothérapie de minimum 70 crédits (les formations se déroulent sur 3 ou 4 ans)
  • Un stage professionnel de 2 ans.

Les critères exigibles cités ci-avant signent la reconnaissance légale de la psychothérapie comme matière spécialisée.

 

La valeur économique et sociale de la psychothérapie

La spécialisation professionnelle n’est utile socialement qu’à partir du moment où cette spécialisation a une plus-value sociétale. Une étude montrerait dans ce sens que pour chaque euro investi en psychothérapie, une économie de deux à quarante-trois euros peut être attendue (4). Pour évaluer la valeur-ajoutée clinique et économique de la psychothérapie, il peut être pertinent de comparer ses effets cliniques à ceux des médicaments qui bénéficient de bons remboursements et constituent donc un coût pour la sécurité sociale – sachant qu’il faut également prendre en compte les frais médicaux liés au suivi et aux effets secondaires.

  • Concernant le traitement du Syndrome du Stress Post-traumatique, Watts et ses collègues (5) ont montré que la psychothérapie était plus efficace que la médication sauf pour un antidépresseur qui avait un effet équivalent (le topiramate). Le reconnu Centre Belge d’Information Pharacothérapeutique indique que l’approche psychothérapeutique est mieux étudiée et reste à préférer.
  • Concernant le traitement de la dépression, le CBIP (6) indique que « En cas de dépression moins sévère, une prise en charge non médicamenteuse à elle seule est certainement préférable. En cas de dépression sévère, une psychothérapie associée à des antidépresseurs est à préférer. Lorsque cette combinaison n’est pas possible, le choix peut se faire, en concertation avec le patient, entre une psychothérapie et un traitement médicamenteux. Ces deux approches paraissent aussi efficaces à court terme et à long terme, mais combiner les deux approches permet de diminuer le nombre de récidives en cas de dépression sévère.
  • Concernant les troubles anxieux, le CBIP indique que « En cas de troubles anxieux, il y a lieu de rechercher le type d’anxiété. Dans toutes les formes d’anxiété, la préférence doit être accordée à une prise en charge non médicamenteuse en raison de l’efficacité à long terme et de l’absence d’effets indésirables. Les médicaments ont une place en cas de graves souffrances ou de dysfonctionnements sévères chez le patient ou en cas d’échec de la prise en charge non médicamenteuse. »

Nous pouvons donc en conclure que la psychothérapie a une valeur ajoutée clinique -et donc économique- fondée et crédible.

 

Pourquoi une pratique spécialisée ?

Mais pourquoi la psychothérapie serait-elle une pratique spécialisée. Parce que son efficacité clinique demande l’acquisition et le perfectionnement de savoirs et savoir-faire.  Cela demande d’une part une bonne maîtrise de la psychologie empirique (7), mais également une capacité de discernement et d’attitudes thérapeutiques. Pour reprendre la plateforme des psychologues universitaires «   L’exercice autonome d’actes psychothérapeutiques ne se limite pas à l’utilisation d’un modèle particulier et l’application de techniques spécifiques de traitement. Il implique un processus décisionnel portant sur l’indication et la pertinence d’un tel traitement, unique ou conjoint à d’autres, puis sur le choix des interventions les plus appropriées pour la personne. » (8)

En somme, la spécialisation en psychothérapie garantit la fiabilité et l’efficacité des pratiques psychothérapeutiques. C’est l’optique que l’institut FCPS a décidé de soutenir dans le choix des formations qui sont proposées aux psychothérapeutes.
L’honnêteté veut qu’on dise que tous les mouvements de psychologues psychothérapeutes ne se retrouvent pas dans cette approche et que malheureusement, il n’est pas demandé aux thérapeutes d’appliquer systématiquement les traitements les plus efficaces en fonction d’un cas donné.

La valorisation économique et sociale du psychologue psychothérapeute 

Pourquoi le psychologue psychothérapeute ne bénéficie-t-il pas de la même reconnaissance sociale et économique qu’un psychiatre ? La question peut évidemment amener à sourire ou à pleurer tant les différences de statut et de rémunération sont actuellement grandes entre les moyennes de l’un et l’autre. Pourtant, les réponses ne sont pas évidentes. En effet, comme nous l’avons vu, la psychothérapie est reconnue légalement comme matière spécialisée. Il est également à noter que la spécialisation en psychothérapie ne fait pas partie de la formation de spécialisation en psychiatrie. La nouvelle loi met donc en évidence la différenciation des psychologues psychothérapeutes et des psychiatres comme des professionnels ayant des spécialisations distinctes et autonomes. De plus, la psychothérapie a une valeur ajoutée sociale et économique non-substituable en tant que traitement en comparaison avec la médication.

Parmi les raisons explicatives, citons l’évolution très rapide de la discipline psychologique et psychothérapeutique qui est très différente aujourd’hui d’il y a encore vingt ans. Notons que celle-ci n’est d’ailleurs toujours pas clairement et uniformément structurée autour des notions de psychologie empirique. Nous devons être plus ambitieux, mais nous devons être à la hauteur de nos ambitions en structurant la pratique psychothérapeutique autour de sa valeur économique et sociale.

Aux Pays-Bas, un psychologue gagne entre 2530 et 6790 euros bruts ; un psychothérapeute gagne entre 3794 et 5863 euros bruts et un psychiatre gagne entre 6000 et 11000 euros bruts(9). En Belgique, nous sommes loin de ces réalités.  La conséquence d’une rémunération trop basse des psychologues psychothérapeutes est que les psychologues les plus formés, les plus crédibles, ou les plus demandés se déconventionneront pour ne soigner que les personnes les plus aisées. C’est un choix de société que nous faisons tous et qu’on ne peut une nouvelle fois, faire reposer uniquement sur les travailleurs.

SOURCES

 

1. Convention de remboursement pour la psychologie clinique. (n.d.). Retrieved from

2. https://www.compsy.be/fr/remboursement-psychologie-cliniqueLottin et Vassart (2018). Remboursement de prestations psychologiques réalisées par un Psychologue clinicien de Première Ligne (PPL).(n.d). Retrieved from https://www.lepsychologue.be/download/2018-12-30-uppcf-remboursement-prestations-psychologiques-ppl.pdf

3. Arrêt de la cours constitutionnelle (Arrêt n° 26/2018 du 1er mars 2018). (n.d).

4. Guilmin, N., & Joris, M. (2018, December 27). Les psychologues veulent être payés plus et argumentent : Cela rapporterait gros à la société. Retrieved from https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_les-psychologues-veulent-etre-payes-plus-et-argumentent-cela-rapporterait-gros-a-la-societe

5.Watts, B. V., Schnurr, P. P., Mayo, L., Young-Xu, Y., Weeks, W. B., & Friedman, M. J. (2013). Meta-Analysis of the Efficacy of Treatments for Posttraumatic Stress Disorder. The Journal of Clinical Psychiatry, 74(06). doi:10.4088/jcp.12r08225

6. 10. Système nerveux. (n.d.). Retrieved from http://www.cbip.be/fr/chapters/11?frag=7997

7.Psychologie empirique contemporaine. (n.d.). Retrieved from https://formationcps.com/index.php/2018/11/07/psychologie-empirique-contemporaine/

8.Pour des psychothérapies ouvertes et rigoureuses. (n.d.). Retrieved from http://www.psychotherapie-univ.be/manifeste.php

9. Hoeveel verdient een? Overzicht van alle salarissen. (n.d.). Retrieved from https://financieel.infonu.nl/geld/125380-hoeveel-verdient-een-overzicht-van-alle-salarissen.html

 

Pierre Orban

Psychologue Clinicien – Formateur FCPS