L ’institut « reconsolidation therapy.com » (1) annonce 70 % de troubles du stress post-traumatique (TSPT) traités après 6 semaines de traitement. Ce chiffre de 70% est également observé pour d’autres thérapies d’excellence comme l’EMDR, Exposition prolongée ou la CPT, mais après 12 semaines. Alors, révolution dans le traitement du TSPT ou racolage commercial ?

L’effet actif du propranolol pour le TSPT

Le propranolol est un béta-bloquant traditionnellement utilisé par les musiciens et les étudiants pour faire face au trac (2). Lors des dernières décennies, de nombreuses études ont étudié sa pertinence dans le cadre de la prévention et du traitement du TSPT (3). De ces études, il ressort que :

  • Le propranolol n’est pas efficace dans la prévention du TSPT.
  • La prise de propranolol avant la réactivation de la mémoire traumatique est efficace en comparaison avec un placebo pour diminuer les symptômes du trouble du stress post-traumatique. Cela an notamment été observé lors d’une étude en double aveugle comparant des  procédures de narration du trauma avec propranolol ou avec placébo (4).
  • Les données actuelles suggèrent que la prise de propranolol avant la réactivation de la mémoire traumatique diminue l’activation physiologique lors de cette réactivation.

Les symptômes de TSPT du groupe « propranolol » en fin de traitement

Nous avons vu que la méthode Brunet avec propranolol était plus efficace sur les symptômes de TSPT que la méthode Brunet avec placebo. Mais cela signifie-t-il que les patients ne présentent plus de symptômes cliniques invalidants en fin de traitement? Si on regarde les études, la réponse est non. En moyenne,  le score moyen de TSPT reste élevé, c’est à dire à la limite du seuil diagnostic. 

En savoir plus.

On peut premièrement se référer à l’étude en double-aveugle qui a mis en évidence l’efficacité supérieure du propranolol sur les symptômes de TSPT en comparaison à un placebo (4). Les auteurs indiquent ceci: dans un suivi à 6 mois, pour le groupe propranolol, le score moyen à la CAPS était de 52 et celui à la PCL-S étaient de 38,4 (N=9) – ils étaient de 69,2 et de 69.0 pour le groupe placebo (N=5). Que signifient ces résultats? La PCL-S était l’échelle utilisée pour mesurer le TSPT de façon rauto-rapportée dans le DSM-IV (5). Le score seuil proposé est de 39 (6), ce qui signifie que les participants du groupe contrôle étaient en moyenne, à la limite diagnostique après 6 mois. Concernant la CAPS, les auteurs n’ont pas précisé de quelle version il s’agissait et les résultats ne sont donc à mon sens , pas interprétables. Il est certains qu’un score de 52 est élevé (7,8). Notons que la CAPS se prête surtout à des diagnostics et qu’il aurait donc été intéressant de fournir cette information.

Dans une autre étude réalisée au Népal et comparant l’efficacité de la thérapie de la reconsolidation (incluant le propranolol) avec la prise de paroxétine, Alain Brunet et d’autres chercheurs ont montré que l’efficacité de la méthode Brunet était identique à celle de la paroxétine pour une mesure autoraportée de TSPT à 3 mois et à 6 mois (9).  Pour mesurer les symptômes de TSPT, les patients étaient invités à remplir une échelle auto-rapportée mesurant les symptômes de TSPT : la PCL. Je n’ai pas trouvé de moyenne rapportée par les auteurs pour la PCL avant et après le traitement en fonction de chaque bras, mais les auteurs rapportent ceci  : « seulement 5 personnes du groupe « paroxétine » et 2 du groupe « thérapie de la reconsolidation » avaient un score à la PCL au-dessus du score seuil de 50 à la fin du traitement (semaine 7).

Un score seuil de 50 pour la PCL, voilà qui est très étrange ! Une fois encore, les auteurs ne précisent pas de quelle PCL il s’agit (la PCL-S, la PCL-5?), ce qui rend les résultats moins facilement interprétables. Mais ils sont élevés en termes de symptomatologie, quoi qu’il en soit!  Le score seuil  de référence pour un diagnostic provisionnel de TSPT s’élève à 39 pour la PCL-S (6), à 33 pour la PCL-5 version anglaise (10) et à 32 pour la version française (11). Forcément, avec un score seuil à géométrie variable, on obtient des interprétations à géométrie variable, et cela induit en erreur.

Les enseignements de l’étude de Galovski et al. (2012) 

L’efficacité relative d’un traitement désigne son efficacité en comparaison avec d’autres traitements (12). Pour le TSPT, il existe déjà des traitements psychothérapeutiques efficaces comme l’EMDR, l’exposition prolongée ou la CPT. L’efficacité de ces traitements a été attestée par de nombreuses études (13,14) avec en moyenne, 70% des participants ayant complété le traitement après 12 séances qui ne présentent plus de TSPT (15). Mais l’efficacité supérieure relative de la méthode Brunet après 6 séances en comparaison avec ces thérapies peut-elle être établie? L’étude de Galovski nous apporte des informations intéressantes sur ce point. 

Galovski et ses collaborateurs (16) ont eu l’idée géniale de poursuivre le traitement de la CPT (un traitement d’excellence pour le TSPT) jusqu’à ce que le patient ne présente plus de diagnostic de TSPT. Ils ont montré qu’e n allant jusqu’à 18 séances, 90 pourcents des patients passaient sous le seuil diagnostic. Un autre enseignement de cette étude qui nous intéresse ici, est que 58 % des patients ne présentaient plus de TSPT avant la douzième séance et ce en moyenne, après 7.5 séances.

Et en effet, en tant que praticien appliquant des traitements pour le TSPT, que ce soit l’EMDR, l’exposition prolongée ou la CPT, il est courant qu’on puisse observer une absence de diagnostic après quelques séances centrées sur le trauma seulement. Or ces thérapies ne nécessitent pas de médication.
Le fait d’observer une diminution des symptômes et du nombre de diagnostics après seulement six séances n’est donc pas un argument pour l’efficacité relative de la méthode Brunet.

La méthode Brunet : pas de données scientifiques sur la supériorité de l’efficacité relative par nombre de séances

Alain Brunet et ses collaborateurs ont réalisé un travail remarquable qui mériterait d’être récompensé. En effet, ils ont pu montrer à partir d’études de qualité que le propranolol en adjuvant à une narration du trauma avait une efficacité supérieure sur le TSPT à l’adjuvant d’un placebo.

Cependant, la stratégie commerciale qui consiste à faire penser que 70 % des TSPT sont traités avec la méthode Brunet ou que cette méthode est plus efficace que les thérapies d’excellence sans médication adjuvante, ne repose pas sur les données scientifiques disponibles. Des études sont nécessaires pour évaluer l’efficacité relative de la méthode Brunet par nombre de séances, en comparaison avec la CPT, l’exposition prolongée ou l’EMDR. Faire penser le contraire peut induire les décideurs,  praticiens et les patients en erreur, et prive donc potentiellement les patients du meilleur traitement disponible.
Et il est indispensable d’évaluer le diagnostic de TSTP à la fin de la méthode Brunet car on peut s’attendre à ce qu’un nombre significatif de patients présente encore un diagnostic de TSTP. 

D’autres applications futures du propranolol pour traiter le TSPT

Les études issues de la thérapie de la reconsolidation ouvrent des nouveaux champs de recherche prometteurs pour le traitement du TSPT. Notamment, certains béta-bloquants pourraient être envisagés comme adjuvants aux thérapies d’excellence comme l’EMDR, l’exposition prolongée, la CPT ou la thérapie du retraitement cognitif dans les cas suivants :

  • Pour les patients en très grande détresse émotionnelle lors de la centration sur le trauma (réactivation de la mémoire traumatique). Ces patients « hyperactivés » selon les termes de l’exposition prolongée (17), ou en forte abréaction selon les termes de l’EMDR (18).
  • Pour les patients qui ont une trop grande crainte à l’idée d’entamer des séances centrées sur le trauma. Galovski et al. (16) ont montré que pour la CPT, 74 pourcents des abandons survenaient avant la 3ème séance.
  • Pour d’autres cas de TSPT résistants à préciser.

Un très grand frein à ces recherches est que les participants qui souhaitent se former à la méthode Brunet doivent signer un contrat extralégal qui stipule, si je l’ai bien compris avant de ne pas le signer, qu’aucune modification ne peut être apportée à la méthode Brunet et à l’usage du propranolol tel qu’enseigné. Ces recherches ne devraient donc pas venir de tous ceux qui ont signé ce contrat, ni des promoteurs de la méthode Brunet.

SOURCES

      1. La Thérapie de la Reconsolidation Soigne Les traumatismes émotionnels. Thérapie de la reconsolidation. (2022, December 2). Retrieved December 22, 2022, from https://www.reconsolidationtherapy.com/therapie-reconsolidation/

       

      1. Propranolol, Un anxiolytique bêta-bloquant, non cardio-sélectif. (n.d.). Retrieved December 22, 2022, from http://santedoc.com/medicaments/psychotrophes/anxiolitiques/propranolol.html

       

      1. Young C, Butcher R. Propranolol for Post-Traumatic Stress Disorder: A Review of Clinical Effectiveness [Internet]. Ottawa (ON): Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health; 2020 Mar 18. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK562942/

       

      1. Brunet, A., Saumier, D., Liu, A., Streiner, D. L., Tremblay, J., & Pitman, R. K. (2018). Reduction of PTSD symptoms with pre-reactivation propranolol therapy: A randomized controlled trial. American Journal of Psychiatry, 175(5), 427–433. https://doi.org/10.1176/appi.ajp.2017.17050481

       

      1. gov: Veterans Affairs. PTSD Checklist for DSM-5 (PCL-5). (2018, September 24). Retrieved December 25, 2022, from https://www.ptsd.va.gov/professional/assessment/adult-sr/ptsd-checklist.asp

       

      1. Palmieri, P. A., Weathers, F. W., Difede, J. A., & King, D. W. (2007). Confirmatory factor analysis of the PTSD Checklist and the clinician-administered PTSD scale in disaster workers exposed to the World Trade Center Ground Zero. Journal of Abnormal Psychology, 116(2), 329–341. https://doi.org/10.1037/0021-843x.116.2.329

       

      1. Clinician administered PTSD scale (CAPS-IV). ISTSS. (n.d.). Retrieved December 25, 2022, from https://istss.org/clinical-resources/adult-trauma-assessments/clinician-administered-ptsd-scale/clinician-administered-ptsd-scale-(caps-iv)

       

      1. gov: Veterans Affairs. Clinician-Administered PTSD Scale for DSM-5 (CAPS-5). (2018, September 24). Retrieved December 25, 2022, from https://www.ptsd.va.gov/professional/assessment/adult-int/caps.asp

       

      1. Brunet, A., Sapkota, R. P., Guragain, B., Tremblay, J., Saumier, D., & Kirmayer, L. J. (2021). Tackling the global problem of traumatic stress in low-income countries: A pilot clinical trial comparing reconsolidation therapy to paroxetine in Nepal. BMC Psychiatry, 21(1). https://doi.org/10.1186/s12888-021-03441-6

       

      1. Weathers, F.W., Litz, B.T., Keane, T.M., Palmieri, P.A., Marx, B.P., & Schnurr, P.P. (2013). The PTSD Checklist for DSM-5(PCL-5). Scale available from the National Center for PTSD at ptsd.va.gov.

       

      1. Ashbaugh A.R, Houle-Johnson, S., Herbert, C., El-Hage, W., Brunet, A. (2016). Psychometric Validation of the English and French Versions of the Posttraumatic Stress Disorder Checklist for DSM-5 (PCL-5). PLoS One,;11(10):e0161645. doi: 10.1371/journal.pone.0161645. PMID: 27723815; PMCID: PMC5056703.

       

      1. Despland, J.-N., Roten, Y. de, Kramer, U., Falissard, B., & Barber, J. P. (2018). L’évaluation des psychothérapies. Lavoisier médecine sciences.

       

      1. Watts, B. V., Schnurr, P. P., Mayo, L., Young-Xu, Y., Weeks, W. B., & Friedman, M. J. (2013). Meta-Analysis of the Efficacy of Treatments for Posttraumatic Stress Disorder. The Journal of Clinical Psychiatry, 74(06). doi:10.4088/jcp.12r08225

       

      1. Haagen, J. F., Smid, G. E., Knipscheer, J. W., & Kleber, R. J. (2015). The efficacy of recommended treatments for veterans with PTSD: A metaregression analysis. Clinical Psychology Review, 40, 184-194. doi: 10.1016/j.cpr.2015.06.008

       

      1. Grunert, B. K., Weis, J. M., Smucker, M. R., & Christianson, H. F. (2007). Imagery rescripting and reprocessing therapy after failed prolonged exposure for post-traumatic stress disorder following industrial injury. Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 38(4), 317–328. doi: 10.1016/j.jbtep.2007.10.005

       

      1. Galovski, T. E., Blain, L. M., Mott, J. M., Elwood, L., & Houle, T. (2012). Manualized therapy for PTSD: Flexing the structure of cognitive processing therapy. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 80(6), 968–981. doi: 10.1037/a0030600

       

      1. Foa, E.B. & Rothbaum, B.O. (1998). Treating the trauma of rape. Cognitive-behavior therapy for PTSD. Guilford Press.

       

      1. Shapiro, F. (2007). Manuel d’EMDR: Principes, protocoles, procédures. Paris: Dunod Inter Editions.

       

      Pierre Orban

      Psychologue Clinicien – Formateur FCPS

      Livre en lien

      « A lire absolument pour améliorer ses prises en charge psychothérapeutiques. » Frédéric Chapelle, Psychiatre et Conférencier 

      « Il va trouver sa place dans la revue de littérature de notre diplôme de psychologie d’urgence et TCC. » Sylvain Goujard, Fondateur du Diplôme Universitaire en psychologie d’urgence et TCC

      « En conclusion, compte tenu de la rigueur scientifique de l’ouvrage, du fait que de nombreuses stratégies thérapeutiques d’excellence dans le TSPT sont rapportées (pour certaines peu connues du public francophone), des nombreux exemples de cas cliniques, il m’est facile de recommander sa lecture aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels pratiquant depuis des années, voire à des enseignants universitaires » Martine Bouvard, Professeure de psychologie clinique