Les co-ruminations ouvrent un nouveau champ de recherche potentiellement riche en applications concrètes pour la psychothérapie individuelle ou de couple. 

Les ruminations

Les ruminations peuvent être définies comme une classe de pensées conscientes qui tournent autour d’un thème commun et qui se répètent en l’absence d’une demande immédiate de l’environnement (1). On sait que ces pensées répétitives, lorsqu’elles sont négatives peuvent notamment prédire la dépression. (2) C’est la raison pour laquelle elles ont fait l’objet de très nombreuses études. Et il existe maintenant des thérapies dont l’efficacité est bien établie pour traiter les troubles anxieux et dépressifs qui se focalisent presque essentiellement sur les ruminations (3).

Les co-ruminations ou ruminations sociales

Un concept moins connu est celui de « co-rumination » ou rumination sociale.  Ce concept a été proposé pour la première fois en 2003 par Amanda Rose (4) qui le définit comme : « largement discuter et revisiter les problèmes, spéculer à propos de ceux-ci, et se focaliser sur les sentiments négatifs ». Dans une étude comparant 30 adolescents dépressifs avec 30 adolescents sans trouble de l’humeur, Waller & ses collègues (5) ont montré que les adolescents dépressifs avaient davantage tendance à ruminer socialement.

Stone & ses collègues (6) ont observé le niveau de dépression, de rumination et de co-rumination dans une étude longitudinale de deux années portant sur 106 adolescents. Ils ont observé que la rumination sociale prédit la survenue plus rapide d’un épisode dépressif ainsi que la sévérité et la durée de cet épisode. Ces prédictions restaient significatives même en intégrant le niveau de rumination et la dépression initiale dans le modèle.

A ma connaissance, il n’y a pas encore de protocole thérapeutique proposé pour cibler les ruminations sociales. Dans mes consultations, je propose d’appliquer aux co-ruminations la méthode de circonscription déjà préconisée pour les ruminations : fixer un moment défini idéalement de maximum 45 minutes pour aborder constructivement les problèmes (7). Lorsque les problèmes sont abordés à un autre moment, la personne est invitée à attendre le moment prévu.

Un champ de recherche à développer

La notion de rumination sociale ouvre un champ de recherche qui doit encore être exploré. L’impact des co-ruminations sur la personne émettrice, mais aussi sur la personne réceptrice, en fonction de ses caractéristiques et en lien avec différentes psychopathologies fera probablement partie des ouvrages de psychologie dans les 20 prochaines années.

 

SOURCES

1. Watkins, E. R. (2008). Constructive and unconstructive repetitive thought. Psychological Bulletin, 134(2), 163-206. doi:10.1037/0033-2909.134.2.163 

2. Wilkinson, P. O., Croudace, T. J., & Goodyer, I. M. (2013). Rumination, anxiety, depressive symptoms and subsequent depression in adolescents at risk for psychopathology: A longitudinal cohort study. BMC Psychiatry, 13(1). doi:10.1186/1471-244x-13-250

3. Normann, N., Emmerik, A. A., & Morina, N. (2014). The Efficacy Of Metacognitive Therapy For Anxiety And Depression: A Meta-Analytic Review. Depression and Anxiety, 31(5), 402-411. doi:10.1002/da.22273

4. Rose, A. J. (2002). Co–Rumination in the Friendships of Girls and Boys. Child Development, 73(6), 1830-1843. doi:10.1111/1467-8624.00509

5. Waller, J. M., Silk, J. S., Stone, L. B., & Dahl, R. E. (2014). Co-Rumination and Co–Problem Solving in the Daily Lives of Adolescents With Major Depressive Disorder. Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, 53(8), 869-878. doi:10.1016/j.jaac.2014.05.004

6.Stone, L. B., Hankin, B. L., Gibb, B. E., & Abela, J. R. (2011). Co-rumination predicts the onset of depressive disorders during adolescence. Journal of Abnormal Psychology, 120(3), 752-757. doi:10.1037/a0023384

7.Borkovec, T. et al. (1983) Stimulus control applications to the treatment of worry. Behaviour Research and Therapy, 21 : 247-251. — Borkovec, T. & Newman, M. (1998) Worry and generalized anxiety disorder. In Bellack, A. et al. (eds) Comprehensive clinical psychology. Pergamon Press, Vol. 6, p. 439-459.

 

Pierre Orban

Psychologue Clinicien – Formateur FCPS