
Introduction
Les protocoles psychothérapeutiques validés sont des approches non-médicamenteuses structurées dont l’efficacité a pu être établie dans différentes études cliniques selon les critères de l’Evidence Based Medicine (EBM) ou de l’Evidence Based Practice (EBP). Cette approche a particulièrement bénéficié à la psychologie clinique puisque des approches psychothérapeutiques sont désormais reconnues comme plus efficaces que les médicaments dans la prise en charge de certains troubles comme le trouble de stress post-traumatique (TSPT)(Watts et al., 2013) ou encore la prévention des rechutes dépressives (Hollon, 2012 ; Hollon et al., 2005 ; Vittengl & Jarrett, 2015).
Leur application dans la pratique clinique hors des centres universitaires où ils sont souvent validés n’est pas si simple. Par exemple, Najavits (2015) a mis en évidence que si on observait ce qui se passait sur le terrain aux Etats-Unis, il était rare que les patients entament et poursuivent les traitements les plus efficaces pour traiter le Syndrome du Stress Post-Traumatique (SSPT). Dans cet article, nous allons présenter des exemples pour le traitement du trouble du stress post-traumatique
Lister les priorités
Muray & El Leithi (2022) font remarquer qu’il est important de s’assurer que le trouble du stress post-traumatique fasse au moins partie du top 3 des problèmes du patient. Nous conseillons de lister avec le patient ses priorités thérapeutiques, même s’il y a un trouble du stress post-traumatique. Voici un exemple réalisé avec un patient selon une échelle de priorité allant de 0 à 10.
Ce sera l’occasion de discuter avec le patient de ce qui peut être traiter en psychothérapie et de ce qui nécessite l’aide d’autres professionnels (médecins, assistants sociaux,…). Une bonne cible pour un traitement thérapeutique est (a) une cible prioritaire, (b) pour laquelle on peut être raisonnablement efficace en psychothérapie. Bien entendu, les patients peuvent minimiser certaines souffrances psychologiques car ils ont peur de les aborder, et cela suppose de pouvoir aborder les freins éventuels avec eux sans se presser.

Suivre les étapes de traitement
Même si le patient ne semble pas être dans des conditions pour entamer un traitement centré sur le trauma, cela n’empêche pas de commencer les étapes de pré-traitement :
- L’index traumatique qui consiste à parcourir avec le patient les événements qui ont été traumatisants dans son histoire et à identifier ceux qui sont perturbants aujourd’hui.
- L’évaluation du trouble du stress post-traumatique à l’aide la CAPS-5.
- L’information sur le trouble du stress post-traumatique et les traitements disponibles.
- L’évaluation des facteurs de précaution pour l’application du traitement centré sur le trauma.
- La sélection d’un événement et du traitement centré sur le trauma.

Moduler la fréquence des consultations
Lors de la mise en place de la centration sur le trauma avec l’EMDR ou l’exposition prolongée par exemple, nous recommandons de rapprocher les séances en allant jusqu’à 2 ou 3 séances par semaine si possible.
Dans mon expérience, certains patients avec des comorbidités et des histoires complexes manquent certaines consultations. Si on met en place une séance tous les 10 jours, cela peut impliquer qu’il y ait trois semaines d’écarts entre deux séances. Et quand le patient n’est plus venu depuis longtemps, il voudra souvent faire le point sur l’évolution de sa situation plutôt que de directement poursuivre la centration sur le trauma avec l’EMDR par exemple. Cela peut donc compromettre le traitement et démotiver le patient.
Plusieurs études cliniques montrent que les séances d’exposition prolongée pour le TSPT sont aussi efficaces si elles sont appliquées tous les jours ou une fois par semaine (Dell et al., 2023 ; Oprel et al., 2021). En d’autres termes, le traitement est aussi efficace sur 10 jours ou sur 10 semaines. Cela montre que d’augmenter la fréquence des séances centrées sur le trauma pour d’autres protocoles comme l’EMDR peut être envisagé.
Bien entendu, cela impliquera qu’à d’autres moments du traitement, il y aura plus d’écart entre les séances (tableau ci-dessous).

Laisser de la place pour les séances non-centrées sur le trauma
Ce n’est pas parce qu’on a commencé les séances centrées sur le trauma que toutes les séances doivent être centrées dessus. Les patients sont souvent confrontés à des événements de vie pendant le traitement qui impliquent que la centration sur le trauma n’est plus prioritaire au moment de la séance. Ce peut être le décès d’un proche, une rupture relationnelle, de la violence conjugale, ou d’autres événements de vie stressants.
Dans leur étude clinique, Galovski et al. (2012) ont montré que la CPT, une thérapie bien validée et centrée sur le trauma, était efficace même s’il y avait des séances non-centrées sur le trauma en cours de traitement.
Le défi pour le thérapeute est donc de pouvoir mettre en place le traitement sans se disperser, tout en ayant la souplesse de s’adapter à la situation de vie du patient. La centration sur le trauma doit toujours être une démarche volontaire de la part de notre patient et souvent, si l’alliance thérapeutique est bonne, ils pourront dire s’ils souhaitent aborder autre chose lors de la séance.
Autres pistes
Bien entendu, d’autres pistes complémentaires peuvent être envisagées. Par exemple, dans « Psychotérapies pour le trouble du stress post-traumatique », je propose les pistes suivantes pour diminuer le risque de dropout lors de l’application d’un traitement centré sur le trauma (p177-182):
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▲ Créer un espoir réaliste Créer de la confiance et de l’optimisme dans la capacité à se stabiliser et à retrouver une qualité de vie est un principe essentiel dans les thérapies, y compris dans celles du TSPT. Cependant, nous déconseillons de créer des attentes irréalistes, car cela pourrait donner l’impression que la thérapie ne fonctionne pas ou qu’elle ne convient pas au patient.
▲ Changer de stratégie thérapeutique si les symptômes s’aggravent :Une augmentation de certains symptômes comme les pensées intrusives est fréquemment décrite lors des premières séances (Shapiro, 2007). Mais après quelques séances, la littérature décrit soit une amélioration, soit une stagnation des symptômes, jusqu’à une guérison qui peut nécessiter jusqu’à dix-huit séances au total (Galovski et al., 2012). Si les symptômes empirent après 6 séances (ou plus) centrées sue le trauma, nous recommandons d’arrêter le protocole et de réévaluer les facteurs de précautions en intégrant la première évaluation (environnement social hostile, maintien d’une menace imminente, bénéfices secondaires, événement traumatique lié et tenu secret,…).
▲ Si un patient n’effectue pas d’exercices à domicile après que cela a été discuté avec lui, nous le rassurons et discutons sereinement avec lui des causes présumées. Dans notre expérience, certains patients ne trouvent ni le courage et ni l’énergie d’effectuer des exercices centrés sur le trauma hors de la thérapie et profitent du support thérapeutique pour le faire. D’autres personnes moins habituées à l’introspection et au raisonnement abstrait peuvent aussi trouver les exercices trop compliqués. Nous conseillons alors de faire le travail uniquement en séance.
▲ Rester bienveillant si le patient manque un rendez-vous Si un patient manque un rendez-vous, nous recommandons de rester positif et compréhensif, sachant que les personnes souffrant de TSPT sont souvent confrontées à de grandes difficultés émotionnelles. Dans de nombreux cas, aller travailler, étudier ou même s’adonner à des loisirs est devenu très difficile. On comprendra aisément, a fortiori, qu’assister à des séances centrées sur le trauma le soit.
▲. N’oublions jamais que nos patients souffrent beaucoup, même s’ils masquent souvent leur douleur. C’est la raison pour laquelle nous recommandons l’usage fréquent des échelles NSD (niveau subjectif de détresse de 0 à 10) en cours de thérapie. C’est aussi la raison pour laquelle il faut pouvoir être attentif à leurs limites et ne jamais les « pousser » pour aller plus rapidement. Nous recommandons de ne pas aller à un NSD au-delà de 8/10 pendant plus de quelques minutes. Les techniques d’attention double comme le dessin ou le mouvement oculaire pendant la réévocation du trauma peuvent être utilisées pour favoriser l’estompage affectif et soulager le patient d’une charge émotionnelle trop importante (Ceschi et Pictet, 2018). Dans notre expérience, augmenter l’interactivité sous forme de dialogue avec le patient, en utilisant des méthodes de restructuration cognitive a également un effet d’estompage affectif.
Conclusion
L’application des protocoles validés en ambulatoire, tels que l’EMDR, la CPT ou l’exposition prolongée, offre des perspectives cliniques précieuses pour le traitement du trouble du stress post-traumatique. Comme nous l’avons évoqué, la mise en place de ces approches nécessite à la fois rigueur et souplesse : rigueur pour rester fidèle aux protocoles et garantir leur efficacité, et souplesse pour s’adapter aux réalités parfois chaotiques de la vie des patients.
Lister les priorités thérapeutiques avec le patient, suivre les étapes préalables à la centration sur le trauma, moduler la fréquence des séances en fonction des phases du traitement, et conserver un plan thérapeutique même lorsqu’il est sujet à des interruptions sont des leviers importants pour favoriser l’alliance et l’engagement du patient.
Enfin, la bienveillance et l’adaptation aux besoins de chaque patient demeurent au cœur de la démarche : il s’agit de proposer un accompagnement à la fois sécurisant et efficace, en respectant le rythme et les limites du patient.
SOURCES
Dell, L., Sbisa, A. M., Forbes, A., et al. (2023). Effect of massed v. standard prolonged exposure therapy on PTSD in military personnel and veterans: A non-inferiority randomised controlled trial. Psychological Medicine, 53(9), 4192-4199. https://doi.org/10.1017/S0033291722000927
Galovski, T. E., Blain, L. M., Mott, J. M., Elwood, L., & Houle, T. (2012). Manualized therapy for PTSD: Flexing the structure of cognitive processing therapy. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 80(6), 968–981. https://doi.org/10.1037/a0030600
Hollon, S. D. (2012). Cognitive and behavior therapy in the treatment and prevention of depression. FOCUS, 10(4), 506–521. https://doi.org/10.1176/appi.focus.10.4.506
Hollon, S. D., DeRubeis, R. J., Shelton, R. C., et al. (2005). Prevention of relapse following cognitive therapy vs medications in moderate to severe depression. Archives of General Psychiatry, 62(4), 417–422. https://doi.org/10.1001/archpsyc.62.4.417
Najavits, L. M. (2015). The problem of dropout from “gold standard” PTSD therapies. F1000Prime Reports, 7. https://doi.org/10.12703/p7-43
Oprel, D. A. C., Hoeboer, C. M., Schoorl, M., de Kleine, R. A., Cloitre, M., Wigard, I. G., … van der Does, W. (2021). Effect of Prolonged Exposure, intensified Prolonged Exposure and STAIR+Prolonged Exposure in patients with PTSD related to childhood abuse: A randomized controlled trial. European Journal of Psychotraumatology, 12(1). https://doi.org/10.1080/20008198.2020.1851511
Orban, P. (2022). Psychothérapies pour le trouble du stress post-traumatique : Exposition prolongée – Retraitement cognitif – Thérapie cognitive du TSPT – EMDR. Dunod.
Vittengl, J. R., & Jarrett, R. B. (2015). Cognitive therapy to prevent depressive relapse in adults. Current Opinion in Psychology, 4, 26–31. https://doi.org/10.1016/j.copsyc.2015.01.016
Watts, B. V., Schnurr, P. P., Mayo, L., Young Xu, Y., Weeks, W. B., & Friedman, M. J. (2013). Meta-analysis of the efficacy of treatments for posttraumatic stress disorder. The Journal of Clinical Psychiatry, 74(6). https://doi.org/10.4088/JCP.12r08225
Watts, B. V., Shiner, B., Zubkoff, L., Carpenter-Song, E., Ronconi, J. M., & Coldwell, C. M. (2014). Implementation of evidence-based psychotherapies for posttraumatic stress disorder in VA specialty clinics. Psychiatric Services, 65, 648–653.
Pierre Orban
Psychologue Clinicien – Formateur FCPS
Livre en lien
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« A lire absolument pour améliorer ses prises en charge psychothérapeutiques. » Frédéric Chapelle, Psychiatre et Conférencier
« Il va trouver sa place dans la revue de littérature de notre diplôme de psychologie d’urgence et TCC. » Sylvain Goujard, Fondateur du Diplôme Universitaire en psychologie d’urgence et TCC
« En conclusion, compte tenu de la rigueur scientifique de l’ouvrage, du fait que de nombreuses stratégies thérapeutiques d’excellence dans le TSPT sont rapportées (pour certaines peu connues du public francophone), des nombreux exemples de cas cliniques, il m’est facile de recommander sa lecture aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels pratiquant depuis des années, voire à des enseignants universitaires » Martine Bouvard, Professeure de psychologie clinique